lundi 17 mars 2008

De la formation à l’apprenance

Pourquoi la formation formelle n’est-elle plus suffisante ?

Lorsque nous parlons de formation ou pensons à une “formation”, nous sous-entendons pour la plupart, qu’il s’agit de formation formelle, c’est-à-dire d’une formation avec un cadre bien défini, des objectifs pédagogiques, un formateur, professeur ou maître, un cursus, un dispositif pour évaluer, un calendrier, un diplôme ou un certificat.La formation en mode formel est-elle la voie unique, la plus pertinente et la plus efficace pour les individus et les organisations d’aujourd’hui ?

Les limites de la formation formelle

Pour filer une métaphore, se former c’est prendre un car : il y a un point de rendez-vous, un horaire de départ, un chauffeur et un guide, une destination avec quelques arrêts prédéfinis pour se dégourdir et puis des passagers qui avancent tous ensemble et arrivent à la même heure au même endroit. La seule différence au cours de ce voyage est que certains auront profité ou subit plus que d’autres le paysage et les informations données (ou les connaissances transférées) par le guide.

Qu’il s’agisse de formations scolaires, universitaires ou professionnelles, nous sommes tous passés par ces institutions dans lesquelles le modèle est celui de la salle de classe avec un « sachant » qui « transfère ses connaissances » à des « appris* ». Ce néologisme est tiré du terme anglais « learned » qui est souvent traduit par « apprenant », participe présent actif. Dans le cadre d’un processus formel, il serait plus exact de dire « appris » sens passif du terme.

En effet, l’interactivité est en général assez limitée dans la mesure où tout est organisé autour des contraintes temporelles, spatiales et humaines : la salle, les objectifs et l’agenda, le professeur/formateur, le nombre de participants, les évaluations…

Il ne s’agit pas ici de dénigrer le modèle qui a façonné notre enfance et au-delà tout le 19ème et 20ème siècle en matière de formation et d’éducation. Il a été très utile pour former en masse et relativement efficacement aux bases de l’écriture, de la lecture, au calcul puis aux matières générales et professionnelles comme la comptabilité ou les langues. Il ne s’agit pas non plus de dénigrer cette formation formelle dans la mesure ou elle a toute son utilité pour des groupes d’apprenants de niveau homogène qui débutent avec une matière.

Nous avons tous eu le sentiment de perdre notre temps à écouter passivement un professeur

Je dis relativement efficacement car ce système ne convient pas à tous et aussi et surtout parce que le temps perdu et cumulé à chaque fois qu’il y a inadéquation entre les attentes et besoins et ce qui est proposé est considérable. Nous avons tous eu le sentiment de perdre notre temps à écouter passivement un professeur, sans pouvoir interagir, sans pouvoir crier notre incompréhension, sans pouvoir échanger …

Ainsi, la formation formelle correspond à une approche de masse sur des contenus établis, des bases.

La croissance de l’apprentissage informel

Mais de plus en plus, la complexité du monde, la rapidité de ses évolutions nous incitentà apprendre en permanence, de façon diffuse, non planifiée, au moment où nous en avons besoin, auprès de collègues ou d’amis, par imitation et/ou par l’action, seul ou en communauté, grâce à un coach ou un mentor, « sur le tas ».

Dans un monde plus complexe, où les évolutions s’accélèrent, cet apprentissage informel se doit désormais d’être considéré comme une forme d’intégration essentielle des connaissances.

Dans ces circonstances variées, nous parlons d’ailleurs plus volontiers d’apprendre que de former ou d’être formé. Les mots ont leur importance, ils traduisent ici un état assez caractéristique, celui de l’action, de la dynamique en un mot celui de la MOTIVATION.

Dans un monde plus complexe, où les évolutions s’accélèrent, cet apprentissage informel se doit désormais d’être considéré pleinement, il devient même une forme d’intégration essentielle des connaissances. Les nouvelles générations, celles du tout numérique, progressent principalement sur ce mode : elles apprennent par l’action, de façon plurielle et plus informelle.

Une nouvelle façon d’appréhender la formation : l’apprenance

Quand nous nous formons de façon informelle, nous n’y pensons pas c’est une activité « naturelle ». On ne pense pas aux notes ou à l’évaluation, on cherche tout simplement à comprendre, à résoudre un problème, à imiter ou à copier le mieux possible, à faire et à remplir notre tâche au mieux ou à satisfaire notre curiosité parce que tout cela revêt un sens pour nous. Nous pourrions formuler ou résumer les deux approches de la façon suivante : lorsque j’apprends c’est que je suis motivé, par contre lorsque je me forme ou que l’on me forme, la motivation n’est pas obligatoire, elle est secondaire et souvent artificielle.

Peut-on dès lors dire que l’on se forme de manière informelle ? La contradiction est apparente et n’est pas un hasard des mots. La forme touche au fond. Certains, partant de l’individu en recherche de connaissances et non du formateur préfèrent parler d’apprenance. L’apprenance n’est-elle pas finalement aujourd’hui le vrai sujet ?

Pourquoi développer la formation informelle ?

Les nouveautés technologiques se succèdent à un rythme toujours plus rapide. De nouveaux usages apparaissent. Notre capacité à apprendre est mise à rude épreuve.

La Formation tout au long de la Vie », qui résonnait encore il y a quelques années comme un slogan, est en passe de devenir une réalité pour beaucoup d’entre nous, et sous des modalités différentes peut-être de celles attendues…

Notre capacité à apprendre est mise à rude épreuve…

Lorsque la radio est apparue, il a fallu 38 ans pour atteindre 50 millions d’usagers, avec la « bonne vieille » télévision les 50 millions ont été atteints en 13 ans, pour l’ordinateur personnel (le PC) le même nombre a été atteint en 4 ans. Pour le téléphone portable, Google, Facebook et le Web 2.0 les rythmes d’adoption sont plutôt de l’ordre de l’année…

Et très certainement, en 2008 nous serons confrontés à des innovations toujours plus nombreuses qui viendront challenger notre capacité à modifier nos pratiques, à découvrir de nouveaux outils, à apprendre plus, plus souvent et plus vite.
Si notre capacité à apprendre est mise à rude épreuve, nos modèles de formation formelle, paraissent en regard dépassés, voire désuets, pour relever le challenge d’apprendre plus, plus souvent, plus vite et à tout âge.
Nous l’avons vu la formation formelle trouve sa justification sur une transmission de savoirs de base en masse, sur un mode passif. Cette approche rigide par définition ne nous incitait pas à apprendre par nous-mêmes, à découvrir, à expérimenter !

Vers un modèle plus riche et plus actif

Au-delà de la motivation pour appréhender des connaissances sur des modes de plus en plus informels, il nous faut être actifs, être acteurs.

C’est donc avec un modèle beaucoup plus riche et souple à la fois que nous pourrons faire face aux nouveaux challenges qui nous font face.

Ce modèle doit privilégier l’expérimentation, le fait « d’apprendre en faisant » (action learning), le e-learning, le mobile-learning, le micro-learning, le social learning, la formation informelle… en résumé les dispositifs multiples et les occasions d’apprendre.

L’accélération des évolutions technologiques et sociologiques associées nous placent dans une connaissance à la fois dynamique et pratique.

Le challenge de l’ « Alphanétisation » est conséquent. Encore un néologisme ! celui-ci traduit le fait qu’une partie importante de la population, les « analphanets » se retrouvent incapables d’une part de s’exprimer et d’apprendre en toute autonomie avec les nouveaux outils et d’autre part de comprendre les enjeux et les implications professionnelles et personnelles des évolutions technologiques et sociologiques.
Aujourd’hui, il apparaît que les institutions de la formation conçues pour la transmission de connaissances statiques en mode passif sont dépassées !

Il nous faut passer désormais à l’apprenance

Il faut passer à une approche centrée sur l’apprenant, active, informelle, évolutive, pratique. De la formation, il faut passer à l’Apprenance. Je résumerai ce concept en le comparant à l’apprentissage. Si l’apprentissage c’est l’acquisition de savoir-faire,l’Apprenance c’est :

• une démarche individuelle : une attitude, un comportement individuel par rapport au savoir qui va favoriser l’acte d’apprendre. Cette attitude est celle de l’anticipation, de l’ouverture, de l’humilité et de la motivation qui va permettre de s’adapter aux évolutions incessantes de notre environnement (technologies, globalisation).
• Une démarche collective : portée par le contexte social, environnemental et culturel qui favorise ou non le fait d’apprendre en continu de manière informelle et expérimentale, individuellement mais aussi et surtout à plusieurs et en communautés.

Freins et opportunités pour développer l’apprenance

Si l’apprenance est nécessaire pour aujourd’hui et demain, les institutions de la formation, notre héritage culturel d’hier, représentent de plus en un frein dans nos sociétés occidentales, en particulier latines.
Il n’en est pas de même partout dans le monde. Comme avec le téléphone, certains pays émergents sont passés directement au sans fil car ils n’avaient pas les infrastructures filaires. Ces mêmes pays passent à l’apprenance rapidement car ils sont moins gênés par l’inertie de leurs institutions en place et par une culture de la passivité, de la prise en charge et de la déresponsabilisation.

En reprenant la métaphore initiale, il faut, aujourd’hui, le plus vite possible favoriser l’usage des vélos en complément des bus. Il faut être capable d’enfourcher son vélo et de partir sur les chemins de l’apprenance. Encore faut-il entreprendre cette démarche à plusieurs pour disposer d’un phénomène d’entraînement.

A ce titre, les nouvelles facilités technologiques vont accélerer cette transition vers l’apprenance : e-learning, micro-learning, m-learning, social learning, action-learning et bientôt le virtual learning (apprendre en 3D dans les mondes virtuels), en multipliant les modalités, les temps et les contextes où tous nous pouvons apprendre, souvent les uns des autres.

Il faut le reconnaître, nous avons désormais à apprendre l’apprenance.

— Marc Tirel