lundi 19 juillet 2010

L’innovation puzzle, ou comment orchestrer la dynamique des contributions innovantes ?

Dans notre économie à dominante immatérielle, l’innovation a changé profondément de nature. D’une innovation invention chère à nos manuels scolaires avec leurs héros solitaires (Edison, Bell, Marconi, Moreno), l’innovation est devenue le fruit d’un travail collectif, où c’est davantage la pertinence globale du puzzle de contributions innovantes qui fait le succès de l’innovation.

Le célèbre iPhone est le symbole de cette innovation agrégative : 300 brevets, dont la plupart ne sont pas maison, la fabrication est externalisée à Taiwan mais les profits sont bien maîtrisés par la marque à la pomme à Cuppertino.

Quelle est la novation dans l’innovation ? Quel est le modèle ? Comment peut-on y parvenir ?

Le brevet original ne suffit plus

Regardons les sociétés les plus innovantes dans le monde sur la base du dernier classement de Business Week paru en avril dernier.

S‘il n’y a aucune entreprise française dans les 50 premières (situation inchangée depuis 2006), le fait nouveau est que 15 sont asiatiques (contre seulement 5 en 2006).

La force de toutes ces entreprises ne réside pas dans l’accumulation de brevets ou dans l’importance faciale de leur budget R&D mais dans leur capacité à faire de leurs innovations des succès que les composantes clés soient maison ou non.

Ce qui compte désormais, c’est d’être le premier à proposer un « tout » pertinent en regard des attentes client.

L’innovation dépasse la question du couple marketing + R&D

Et ce « tout » pertinent ne dépend pas que d’une bonne synergie entre direction marketing et R&D, condition elle aussi nécessaire mais plus suffisante. Ce qui différencie ces entreprises est leur implication globale dans le processus d’innovation, engageant leur organisation et, au-delà, une partie croissante de leur écosystème dans un niveau d’exigence partagé de la pertinence client (open innovation traduit tantôt par innovation ouverte ou par innovation partagée).

De la performance à la pertinence

La novation est que nous sortons d’une innovation restreinte au couple R&D - marketing, tentant ensemble de répondre à des critères de performance et de satisfaction, pour entrer dans un rapport global de l’entreprise et de son écosystème avec le client au sens global de ses intérêts. L’objectif de performance considérait un niveau de réponse à des besoins plus ou moins exprimés, la pertinence prend en compte toutes les dimensions de la relation en apportant une réponse créative globale en termes de sens. Et ce rapport de sens s’exprime au travers de la marque qui, portant l’innovation, nous propose un regard nouveau sur le monde et sur nous-mêmes.

La novation de l’innovation s’établit sur deux plans : une implication globale de l’organisation et une stratégie créatrice de sens. C’est désormais l’intelligence de l’organisation qui est le levier d’innovation et non plus l’addition de quelques brillants cerveaux, même s’ils sont – répétons-le encore - plus que jamais nécessaires, mais plus suffisants.

Et même si toutes ces organisations citées pratiquent encore ces nouvelles approches plus ou moins bien, leur capacité résultante dépasse déjà de loin les formats organisationnels mécanistes en vogue au siècle dernier.

L’innovation dans l’économie immatérielle est agrégative

Impliquer l’organisation permet de démultiplier l’intelligence créatrice, de proposer en masse des contributions innovantes, à la base plus ou moins pertinentes. Le jeu de cette dynamique de contributions innovantes permet par son intensité de faire réagir les uns, de rebondir, de commenter, de compléter, d’adhérer, d’encourager.

Une dynamique collaborative s’engendre et associe une dynamique des acteurs de l’organisation avec leurs compétences, leur point d’observation, leurs expériences, leur subjectivité propre, à une dynamique des idées qui, au travers ce jeu, vont s’enrichir, s’élargir, prendre une dimension supérieure.

Cette dynamique collaborative si elle est mise en tension dans le champ stratégique de l’entreprise devient agrégative : suggestions et contributions innovantes se conjuguent, engendre des noyaux d’innovation et s’organisent progressivement comme un puzzle.

Le puzzle collaboratif est une métaphore éclairante : personne dans l’organisation ne peut en effet prétendre maîtriser toutes les compétences, toutes les composantes du tableau final d’une innovation. Avoir conscience du nombre de pièces potentielles, savoir solliciter les contributions est aujourd’hui plus important que d’avoir la prétention de tout inventer soi même, ou même en interne. La créativité collaborative guérit les entreprises du syndrome bloquant du NIH (le « Not Invented Here »).

Ce jeu de l’innovation collaborative l’entreprise gagne à s’ouvrir pour impliquer tout son écosystème.

Alain Laffley, ex CEO de Procter et Gamble (P&G) explique laconiquement dans son livre témoignage “The Game Changer” que leur démarche d’open innovation leur a permis de passer en 4 ans de 7.500 cerveaux en R&D (c’est déjà pas mal) à plus d’1,5 million en impliquant les partenaires, les clients et, même, les collaborateurs ! La croissance de l’entreprise s’est très significativement amplifiée dans les années suivantes en grande partie par le rythme nourri des innovations.

L’innovation dans l’économie immatérielle est intégrative

Le foisonnement de l’innovation collaborative nécessite pour s’opérer pleinement une tension collective vers un niveau supérieur par l’élaboration continue du sens global. Pourquoi travaillons nous dans ce sens ? Pour quelle finalité ? Quelle est l’étoile ? C’est ce questionnement qui permet en retour de mettre en tension l’organisation, de renouveler sans cesse le niveau d’exigence de la pertinence client.

Cette démarche parallèle nécessite un autre outil : la stratégie créative (voir Michel Saloff Coste, le Management du 3e Millénaire). Il s’agit d’une démarche collaborative plus exigeante par son enjeu permettant à l’entreprise de se projeter sur sa propre finalité. Du collège des dirigeants, cette démarche est aussi en passe d’évoluer vers un nombre plus large de parties prenantes.

L’innovation dans l’économie immatérielle est nécessairement à la fois agrégative et intégrative : le foisonnement construit un tout pertinent, et c’est dans cette perspective seulement qu’il y a dynamique collaborative.

L’innovation collaborative globale ou l’innovation puzzle !

Stratégie créative et innovation collaborative ouverte et partagée se conjuguent et forment un système puissant de création de valeur, que nous pouvons qualifier d’innovation collaborative globale.

Si la chaine de fabrication, celle de Ford, des Temps Modernes, assemblant des pièces matérielles en masse pour générer par duplication des produits physiques en masse, a constitué la forme archétypale de la création de valeur de l’économie industrielle, l’innovation collaborative globale constitue aujourd’hui le processus référent de l’économie immatérielle : la puissance d’une entreprise est désormais proportionnelle à sa capacité à agréger en continu des contributions innovantes en innovations pertinentes.

Le processus d’innovation globale d’une entreprise de l’économie immatérielle est une dynamique collaborative d’innovation ouverte associée à une réelle stratégie créative.

Le processus d’innovation globale d’une entreprise de l’économie immatérielle est une dynamique collaborative d’innovation ouverte associée à une réelle stratégie créative

Apple et Google, les nouveaux géants de l’innovation puzzle

Qui dans le paysage économique mondial pratique ce type de démarche ? Les deux premières du classement 2010 de Business Week bien sûr : Apple et Google !

Leur puissance ne s’appuie pas sur un brevet X ou Y mais sur leur capacité continue et croissante à générer de l’innovation en impliquant leur écosystème, en faisant toutes deux de la notion d’écosystème un objet d’innovation.

Dans le cas d’Apple, la stratégie créative est centrée sur la personne de Steve Jobs, chez Google, le collège est plus large. Dans les deux cas l’innovation collaborative ainsi mise en tension implique des dizaines de milliers de collaborateurs.

Pas une semaine sans une innovation annoncée par l’une ou l’autre. Des innovations brillantes, des innovations de rupture, des innovations ratées parfois, mais qu’importe le flux est là ! Les autres cherchent à suivre en augmentant leur budget, leur effort, leur souffrance. Ils sont à la peine. Le secret des leaders n’est pas dans leurs moyens capitalistiques initiaux. Il est dans leur modèle !

Ne croyons plus que notre retard est une question de moyens, faisons l’effort de comprendre qu’il s’agit de changer de modèle !

— Olivier Réaud