lundi 29 janvier 2018

L’abécédaire d’In Principo - Lettre n°5 : E comme… Engagement !

Deux fois par mois, In Principo vous invite à réviser une notion clé pour nos organisations d’aujourd’hui et de demain. Pour cela, nous donnons la parole aux personnes rencontrées dans les entreprises dont nous accompagnons la transformation collaborative. Après les quatre premières lettres de l’alphabet, force est de constater le nombre important de belles notions qui commencent pas la lettre ‘E’ : Échange, Écoute, Émotion, Empathie, Énergie, Enthousiasme, Envie… Comment choisir entre tous ces ingrédients importants pour nos recettes du quotidien ? Choisir c’est renoncer. Alors, puisque nous avons l’embarras du choix, nous allons parler d’Engagement ! Et c’est Guillaume qui nous en parlera le mieux…

Selon Wikipédia, “l’engagement est un terme juridique désignant le fait de convenir de participer à une œuvre ou à une entreprise en contrepartie d’un paiement ou d’un salaire, les gages”. “L’engagement est également le fait de prendre parti sur les problèmes politiques ou sociaux par son action et ses discours”. La première définition concerne notamment le champ de l’entreprise en y associant la notion de contrepartie financière. La seconde définition sort du champ de l’entreprise et n’évoque plus cette notion de contrepartie. Et dans cet article, nous allons parler de l’engagement des salariés en milieu professionnel, mais sans y associer de contrepartie financière.

Que signifie être engagé(e) dans une entreprise ? Comment générer de l’engagement au quotidien ? Comment créer les conditions favorables à l’engagement des salariés ? En ce début d’année 2018, In Principo donne la parole à Guillaume, consultant spécialisé dans la mise en œuvre opérationnelle des transformations en entreprise par l’engagement de ses salariés.

Quelle est votre définition personnelle de l’engagement ? “Pour moi, s’engager c’est prendre une décision coûteuse, librement. Dans cette définition, il y a donc deux critères qui caractérisent, selon moi, le niveau d’engagement d’une personne : le ‘coût’ que représente cette prise de décision, du point de vue de la personne qui s’engage. Et le ‘degré de liberté’ qui est laissé à cette personne au moment de sa prise de décision.

Que mettez-vous derrière cette notion de ‘coût’ ? “C’est l’ensemble des conséquences qui seront associées à ma prise de décision. Par exemple, mon engagement pourra se traduire par un investissement en temps ou par un effort financier. Mon engagement pourra également nécessiter un effort physique ou encore une certaine prise de risques. Mon engagement peut aussi m’amener à renoncer à certaines préférences ou à sortir de ma zone de confort… Bref, plus je dois consentir à des efforts et plus mon niveau d’engagement sera important. A l’inverse, si ma prise de décision est relativement anodine pour moi. Si elle n’a aucun impact sur mon quotidien. Il est probable que mon niveau d’engagement sera plus limité”.

Et qu’entendez-vous par ‘degré de liberté’ ? “C’est clairement l’ingrédient le plus important. Pour qu’une personne s’engage véritablement, il est essentiel de lui laisser la possibilité de vous dire non… C’est parce que j’ai pleinement conscience des coûts associés et que j’ai la liberté de ne pas m’engager, que ma prise de décision sera réellement décisive. On dit alors que c’est la possibilité de vous dire ‘non’ qui renforcera la qualité de mon ‘oui’. La qualité d’un engagement dépend donc directement de la qualité de la prise de décision. Pour être solidement engagé(e), cette prise de décision doit être totalement libre, et prise en pleine conscience de tous les impacts associés”.

Comment transposez-vous ces deux ingrédients de l’engagement dans le monde de l’Entreprise ? “Tout dépend de la définition de l’engagement qui est choisie par les entreprises. Dans certaines enquêtes pour mesurer le niveau d’engagement des salariés, on évalue des choses très différentes : la satisfaction et le bien-être au travail, le niveau d’adhésion au projet de l’entreprise et à ses Leaders, la qualité des relations humaines, avec son manager notamment, ou encore notre capacité à nous projeter dans l’entreprise ou à la recommander à l’extérieur. Toutes ces informations sont extrêmement précieuses. Mais au final, leur synthèse nous amène davantage sur le terrain de l’attachement émotionnel qu’on entretient avec son entreprise. Et cela nous éloigne souvent d’une mesure fiable du vrai niveau d’engagement des salariés”.

La mesure du niveau d’engagement est-elle la seule difficulté que vous rencontrez dans les entreprises où vous intervenez ? “Il y en a bien d’autres. Dès la phase de recrutement, par exemple, les conditions de l’engagement ne sont pas toujours réunies. Du côté du recruteur, on cherche toujours à valoriser les avantages et les bénéfices pour la future recrue. De ce fait, on va mécaniquement dissimuler certains coûts; par exemple, les valeurs de l’entreprise seront possiblement éloignées de celle du candidat. Et ce dernier devra pourtant s’y adapter ou composer avec elles au quotidien. Et du côté du candidat, on a n’a pas toujours la possibilité financière de refuser une proposition d’embauche. Ce qui va directement impacter son degré de liberté”.

En dehors du recrutement, quels sont les autres moments où l’engagement est difficile à obtenir en entreprise ? “Quasiment tous les jours, les salariés ont la possibilité de prendre librement des décisions plus ou moins coûteuses : accepter une nouvelle mission sans augmentation salariale à la clé. Rester plus longtemps au travail alors que vous avez la liberté de rentrer chez vous. Rendre un service à un collègue alors qu’on n’en a pas forcément le temps… Les occasions sont très nombreuses”.

“La difficulté en entreprise c’est notre relation au refus. Un salarié qui est lié par un contrat de subordination peut-il vraiment refuser la demande de son manager ? Et un manager est-il prêt à accepter des refus de la part de ses salariés ? Souvent le refus n’est pas envisageable ou très mal considéré. Et pourtant, c’est la possibilité de refuser quelque chose qui renforce significativement notre niveau d’engagement à le faire”.

Quels conseils pourriez-vous donner aux managers qui souhaitent renforcer l’engagement de leurs salariés ? “Tout se joue au moment de la prise de décisions par votre salarié. Pour commencer, mettez réellement cette personne en situation de prendre une vraie décision. En clair, évitez de lui imposer votre solution ou de la manipuler subtilement. Ensuite, prenez le temps de discuter avec elle et d’accueillir l’ensemble de ses freins éventuels, qui seront autant de coûts associés à sa prise de décision. Souvent, un challenge qui peut vous sembler évident et passionnant ne le sera pas forcément pour l’autre personne. Enfin, laissez-lui du temps pour mûrir sa décision. Sachez accueillir ses moments de réflexion, d’hésitation et de silence. Et surtout, préparez-vous à la possibilité d’accueillir un refus”.

“Le contre-exemple parfait c’est de manipuler la carotte ou le bâton : la carotte vise à dissimuler ou à compenser les coûts en promettant une récompense ou une gratification à la clé. Le bâton vise à supprimer tout degré de liberté en usant de son autorité managériale… L’engagement véritable apparaît précisément lorsqu’on n’a besoin d’utiliser ni l’un, ni l’autre. Et pour de nombreux managers, cela nécessite une discipline et une vigilance de chaque instant”.

Voulez-vous dire que pour obtenir un vrai engagement il ne faut pas de gratification ? “Je dis simplement que la gratification ne doit pas forcément être financière. Et surtout qu’elle ne doit pas être promise et garantie dès le départ. Prenons un exemple que je connais très bien ; une entreprise souhaite mettre en place une communauté de tuteurs ou de formateurs internes qui occuperont ce nouveau rôle en plus de leur poste actuel. Si elle cherche à engager des volontaires en échange d’une prime ou d’une promotion, elle risque d’attirer des personnes qui sont intéressées par autre chose que la pédagogie ou le développement des autres. Certes, obtenir un engagement coûteux sans promettre une gratification est beaucoup plus compliqué que de monnayer une contribution. Mais cela vous garantit un niveau d’engagement bien supérieur de la part de ceux qui décideront librement de franchir le cap !”

Et vous, chère lectrice ou cher lecteur, quelle est votre définition personnelle de l’engagement ? Quel niveau d’engagement observez-vous dans votre environnement professionnel ? Et surtout, comment les dynamiques collaboratives peuvent-elles contribuer à recréer des espaces de liberté et d’engagement des acteurs, au service du collectif ?

— Matthieu Buet